Les pièges à moustiques sont-ils vraiment efficaces ?
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.
Avec le retour des beaux jours, la nuisance liée aux moustiques constitue une préoccupation grandissante pour de nombreuses personnes et collectivités à la recherche de moyens de lutte efficaces pour se protéger des piqûres et des maladies susceptibles d’être transmises par ces insectes. Rappelons qu’en métropole, le moustique tigre (Aedes albopictus) est le seul capable de transmettre les virus responsables de la dengue, du chikungunya et du Zika. Arrivé en métropole en 2004 dans les Alpes Maritimes, il est remonté vers le nord et a colonisé 67 départements.
Depuis le décret du 29 mars 2019, les maires ont des responsabilités nouvelles en matière de vecteurs, puisqu'il entre désormais dans leurs compétences «d'agir aux fins de prévenir l'implantation et le développement d'insectes vecteurs sur (leur) commune». À ce titre, ils peuvent notamment informer la population sur les mesures préventives nécessaires et mettre en place des actions de sensibilisation du public, voire un programme de repérage, de traitement et de contrôle des sites publics susceptibles de faciliter le développement des insectes vecteurs.
Dans ce cadre, certaines collectivités, à l'exemple de Libourne ou de la commune de Sambuc, en Camargue, ont décidé de déployer des «pièges à moustiques» ou «bornes à moustiques» électriques placés en extérieur afin de réduire la présence des moustiques et diminuer la nuisance due aux piqûres.
Cependant, ces dispositifs sont chers (quelques centaines à plus de 2 000 € l'unité), exigeants en termes d'entretien (remplacement des consommables : bouteille de CO2, leurre olfactif, filet de capture…) et leur efficacité est relative.
L'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (Anses) a publié un avis et un rapport d'expertise sur l'efficacité des pièges utilisés contre les moustiques Aedes vecteurs d'arboviroses en septembre 2021 auquel nous avons contribué.
Elle a également émis des recommandations pour que des études destinées à évaluer les méthodes de piégeage en termes de coût-efficacité et de faisabilité suivant un protocole scientifique d'évaluation rigoureux soient menées.
Plusieurs types de pièges existent
Il existe deux principaux types de pièges utilisés pour lutter contre les moustiques femelles, qui sont les seules à piquer : les pièges pondoirs létaux ciblant les femelles en recherche d'un gîte pour pondre leurs œufs et les pièges ciblant les femelles à jeun en recherche d'hôte (car elles ont besoin d'un repas sanguin pour porter leurs œufs à maturité).
Les premiers, imitant un lieu de ponte, sont constitués d'un récipient rempli d'eau stagnante et permettent de piéger par divers moyens (support de ponte imprégné ou traité avec un insecticide ou bandes collantes à l'intérieur du piège) les femelles cherchant à pondre. Ces pièges visent à réduire le nombre de moustiques femelles adultes et celui de leur future progéniture (les larves pouvant également être tuées dans le piège par les résidus d'insecticides ou à l'aide d'un grillage qui empêche l'émergence des adultes). Cependant, si ces pièges ne sont pas entretenus (changement d'eau régulier), ils peuvent eux-mêmes devenir des gîtes productifs en moustiques adultes.
Le second type de pièges attire les moustiques femelles en recherche d'hôte en simulant la respiration d'un être vivant par la diffusion de gaz carbonique (CO2) et/ou à l'aide de lumière et/ou d'un leurre olfactif (par exemple en simulant l'odeur corporelle humaine avec de l'acide lactique).
Les moustiques attirés dans le piège sont alors aspirés par une ventilation électrique et précipités dans un filet de capture. Contrairement aux pièges pondoirs dits «passifs», ceux-là sont dits «actifs» car ils ont besoin d'électricité pour fonctionner et utilisent un leurre.
Les pièges commercialisés doivent apporter la preuve de leur efficacité
D'après les données disponibles dans la littérature scientifique (qui concernent les modèles de pièges BG GAT, CDC AGO, BG sentinelle, MosquiTRAP, et BioBelt Anti-Moustiques), les pièges passifs et actifs peuvent contribuer à diminuer significativement les populations de moustiques du genre Aedes à moyen et long termes (sur plusieurs semaines, mois, voire années), à condition qu'ils soient bien entretenus et qu'il y ait un nombre de pièges suffisant dans la zone à protéger.
L'efficacité des autres pièges commercialisés en France pour réduire la densité de moustiques n'est, quant à elle, pas encore documentée.
En attendant d'avoir ces données, les allégations publicitaires employées par certains fabricants, du type «zéro nuisance» ou «maison sans moustique» paraissent abusives. De telles allégations ne devraient pas être avancées sans que la preuve de ce qu'elles revendiquent soit établie et seulement pour des produits répondant par ailleurs pleinement aux exigences réglementaires applicables.
Dans le cadre de notre revue de la littérature scientifique, aucune donnée probante n'a par ailleurs été trouvée concernant l'efficacité des pièges à moustiques pour limiter rapidement la propagation des maladies vectorielles lorsque des virus sont déjà en circulation. La transmission de virus par les moustiques est un phénomène multifactoriel, et la densité de moustiques n'est que l'un des facteurs qui permettent d'expliquer la circulation de virus parmi d'autres (tels que des facteurs socio-économiques, comportementaux, environnementaux et de gestion des cas).
Si certains pièges peuvent avoir une efficacité pour réduire les populations de moustique, leur efficacité pour diminuer la propagation des maladies vectorielles n’est pas démontrée Nous recommandons donc de mener des recherches pour collecter de telles données et déterminer les conditions de déploiement optimales de ces pièges. En attendant ces données complémentaires, les pièges à moustiques ne devraient être utilisés que lorsqu'il n'est pas possible de recourir aux traitements insecticides actuellement recommandés autour des cas, par exemple lorsque la zone à traiter est proche d'un cours d'eau ou inaccessible ou, en complément d'autres mesures préventives.
Certains pièges commercialisés sont soumis à une autorisation de mise sur le marché
Le CO2, l'acide lactique et les autres substances utilisées pour attirer les moustiques femelles sont des substances «biocides». Les pièges les utilisant doivent donc être conformes à la réglementation européenne sur les biocides et bénéficier d'une autorisation de mise sur le marché (AMM). L'instruction du dossier de demande d'AMM d'un produit permet d'évaluer l'efficacité du produit, ainsi que les risques pour l'être humain et l'environnement.
À ce jour, aucun des pièges à moustiques utilisant du CO2 commercialisés en France ne dispose d'AMM. La commercialisation des pièges à base de CO2 produit par combustion de butane/propane est autorisée selon un régime transitoire jusqu'au 1er juillet 2022. Après cette date, les pièges n'ayant pas d'AMM ne pourront plus être commercialisés en France. [Depuis la rédaction de cet article, plusieurs AMM pour des pièges à moustiques ont été délivrées]
Les pièges doivent être utilisés en complément d'autres mesures préventives
Les pièges ne constituent pas une solution miracle. Pour être plus efficaces, ils doivent être utilisés en complément d'autres moyens de lutte, à commencer par le traitement du problème à la source et l'élimination des gîtes larvaires. En effet, l'élimination efficace des dépôts d'eau stagnante est le principal moyen de lutter contre la propagation des moustiques. Pour cela, chaque geste compte (vider les coupelles sous les pots de fleurs, veiller au bon écoulement des gouttières, ramasser les déchets pour qu'ils ne se transforment en réceptacle d'eau de pluie…) et il est indispensable que chaque citoyen s'implique dans la lutte contre les gîtes larvaires.
Pour en savoir plus sur les mesures que peuvent prendre les maires dans ce domaine, il existe un Guide à l'attention des collectivités souhaitant mettre en œuvre une lutte contre les moustiques urbains vecteurs de dengue, de chikungunya et de Zika publié en 2016 par le Centre national d'expertise sur les vecteurs. Même si ce guide n'est plus à jour sur les questions réglementaires, il est riche de conseils et de recommandations pour mener une lutte intégrée combinant des mesures biologiques, physiques, chimiques et de mobilisation sociale, dans un double objectif d'efficacité pour lutter contre la population de moustique ciblée et de respect de l'environnement.
Chef de projets scientifiques, Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses)
Coordinateur scientifique, Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses)
Thierry Baldet, Chercheur au Cirad