Des chenilles processionnaires du chêne
09/01/2024
Expertise
5 min

Évaluer le risque d’exposition aux chenilles urticantes pour mieux s’en protéger

Les aires de distribution géographique des chenilles processionnaires du pin et du chêne évoluent depuis quelques années en France à la faveur du dérèglement climatique. Leur présence, de même que celle d’autres chenilles urticantes, constitue un risque pour la santé humaine et animale. L’Anses a évalué le risque lié à l’exposition des populations par commune, en France hexagonale et en Corse, afin d’adapter les mesures de prévention et de lutte à appliquer sur le terrain.

Trois espèces de chenilles urticantes présentes en France hexagonale et en Corse étaient au cœur de l’analyse de risque menée par l’Anses : la chenille processionnaire du chêne, la chenille processionnaire du pin et la chenille du bombyx cul-brun. Les venins contenus dans leurs poils peuvent provoquer des atteintes aussi bien cutanées, comme une urticaire comparable aux piqûres d’ortie, que respiratoires ou oculaires. Ils peuvent également provoquer des allergies cutanées en cas de contact répétés avec les poils urticants. Des atteintes de la langue ou de la peau sont également observées chez les animaux.

« La chenille processionnaire du chêne a étendu son aire de distribution en France vers l’ouest, tandis que la chenille processionnaire du pin est remontée vers le nord et l’ouest, explique Emmanuel Gachet, chef de l’unité Expertise sur les risques biologiques au sein du Laboratoire de la santé des végétaux de l’Anses. Des territoires qui n’étaient pas colonisés jusqu’à récemment doivent désormais prendre des mesures contre la prolifération de ces insectes. Le risque peut être plus élevé car les personnes vivant dans des zones nouvellement infestées prennent généralement moins de précautions que celles habituées à la présence de ces chenilles. »

L’expertise réalisée par l’Anses a évalué le risque sanitaire lié à l’exposition à ces chenilles et travaillé sur des mesures de gestion et de lutte appropriées à mettre en œuvre, en prenant en compte l’analyse de l’efficacité des méthodes de lutte préventives et curatives disponibles.

Cartographier le niveau de risque par commune

Des cartes des risques, permettant de répartir les communes françaises en cinq classes, ont été établies pour les trois espèces de chenilles urticantes. Cette classification est déterminée par le niveau de danger et le niveau d’exposition des populations humaines vulnérables à ces chenilles.

Le danger est lié à la probabilité de présence des chenilles, évaluée grâce aux données fournies par le Département de la santé des forêts du ministère chargé de l’agriculture. La vulnérabilité des populations exposées est estimée sur la base du nombre d’habitants, d’enfants de moins de cinq ans et de l’effectif des professionnels susceptibles d’être exposés du fait de leur métier.

« Ces cartes sont des outils destinés à aider les autorités à l’échelle communale, départementale ou régionale à adapter les mesures de prévention et de lutte au niveau de risque, précise Emmanuel Gachet. La classification des communes selon le niveau de risque lié aux chenilles à poils urticants n’est pas figée dans le temps, elle pourra évoluer avec la distribution géographique des chenilles ou les mesures de gestion mises en place. Il faut également noter que les niveaux de risque ne sont pas comparables d’une espèce à l’autre. Par exemple, la classe de risque la plus élevée, de niveau 1, ne représente pas le même risque d’exposition selon s’il s’agit de la chenille processionnaire du pin ou du bombyx cul-brun. »

Anticiper le risque grâce à la surveillance et la prévention

Les mesures de gestion possibles vont de l’information du public en cas de pullulation occasionnelle de chenilles à poils urticants jusqu’à l’interdiction de l’accès aux zones forestières et aux espaces verts infestés dans les communes les plus à risque. Ces mesures doivent être mises en en œuvre de façon graduée, en commençant par une phase de surveillance pour confirmer la présence des chenilles et le niveau d’infestation d’une commune.

Selon le niveau de risque, des mesures de lutte préventives ou curatives pourront être recommandées. La plantation d’arbres non hôtes des chenilles processionnaires du pin est par exemple un moyen d’éviter la colonisation d’une nouvelle zone. Une fois les chenilles établies, les experts recommandent les moyens d’élimination mécanique, comme la destruction des nids ou la pose de pièges dans le cas de la processionnaire du pin.

Par ailleurs, les professionnels peuvent développer une réaction allergique suite à l’exposition répétée aux toxines du venin contenues dans les poils, pouvant aller jusqu’au choc anaphylactique. L’Anses a lancé une enquête fin 2022 pour caractériser l’exposition, les atteintes sur la santé et les facteurs de risque associés chez les professionnels les plus à risque. Les métiers les plus exposés concernent les professionnels exerçant en forêt et dans les espaces verts, les agriculteurs et les professionnels du milieu équin. L’Agence préconise de mener des campagnes de prévention à leur destination et recommande le port d’équipements de protection en cas d’intervention dans une zone où les chenilles processionnaires sont présentes.

Surveiller les animaux domestiques

Les animaux peuvent aussi être victimes de chenilles urticantes : d’après les données des centres antipoison vétérinaires 91 % des cas d’exposition déclarés concernent les chiens, les chats représentant environ 7 % des cas. Les lésions les plus fréquentes chez les canidés se situent au niveau de la langue et de la bouche. Les jeunes chiens sont particulièrement touchés. Chez les chats, ce sont les pattes et le système digestif qui sont les plus exposés. Des cas d’exposition sont également rapportés chez les chevaux et les ruminants. Dans les zones infestées, il convient donc d’être vigilant à l’exposition des animaux domestiques.

 

Manque de connaissance sur les chenilles urticantes dans les Outre-mer

La présence de chenilles urticantes dans les zones tropicales est mal connue : les espèces sont surtout connues et décrites par les spécimens adultes (papillons) mais peu par les chenilles. Un volet de l’expertise a donc consisté à identifier et à décrire les espèces ayant des chenilles à poils urticants potentiellement présentes en Guyane, dans les Antilles, à Mayotte ou à La Réunion. Des travaux complémentaires seront nécessaires pour évaluer le risque sanitaire qu’elles pourraient représenter dans ces régions ultramarines.

L’impact économique des chenilles urticantes sur l’environnement reste à mesurer

Les épisodes de fortes pullulations de chenilles processionnaires impactent la croissance et la vitalité des forêts, et limitent la fréquentation des espaces boisés pour les loisirs. Ceci réduit ainsi les bénéfices (ou services écosystémiques) associés aux espaces boisés. Si un volet de l’expertise s’est attaché à évaluer ces impacts et en particulier la perte économique associée, des données manquent pour en faire une évaluation précise. Des travaux complémentaires seraient donc nécessaires pour quantifier la perte de service en termes de production sylvicole, de stockage de carbone et de potentiel récréatif des forêts impactées.