30/11/2021
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Exposome : où en est la science ?

Atteintes cardio-vasculaires, cancer, diabète... chaque année, plus de 70 % des décès dans le monde sont dus à une maladie chronique. Elles sont liées à une combinaison de différents facteurs de risque, génétiques ou non, auxquels nous sommes soumis au cours de notre vie. L’exposome propose une analyse des facteurs non génétiques en étudiant l’ensemble des expositions que subit un être humain de par son environnement et tout au long de sa vie. L’Anses et l’Inserm organisent une rencontre scientifique pour faire le point sur les avancées de la science dans ce domaine. Dans cette interview croisée, trois scientifiques reviennent sur ce concept et les actions de l’Anses. 


Qu’apporte le concept d’exposome dans la compréhension des maladies chroniques ?

Pr Robert Barouki, Professeur à l’Université de Paris, directeur d’unité à l’Inserm, président du Groupe de travail Exposome de l’Anses 

Si l’on prend l’exemple du cancer, les causes génétiques sont aujourd’hui relativement bien connues. Mais pour ce qui relève des facteurs non génétiques, cela reste encore très flou ! Pour la première fois, le concept d’exposome permet d’étudier l’ensemble des expositions auquel un individu est exposé tout au long de sa vie. La dimension temporelle associée aux expositions multiples permet d’avoir une vision d’ensemble des causes de ces maladies. Comment le traduire concrètement dans la recherche ? Différentes approches, projets de recherche et études de cohortes sont menés dans le monde. Tous ces travaux permettent de documenter et de modéliser les expositions à plusieurs dangers, qu’ils soient chimiques, biologiques, physiques, psycho-sociaux et en fonction de différents environnements, par exemple urbains, ruraux ou de travail. Cela va bien au-delà des effets combinés de différentes substances chimiques.

En effet, il s’agit de connaître les interactions entre différents types de facteurs, comme le déséquilibre alimentaire et la contamination des aliments par des substances chimiques ou la situation socio-économique des populations et ces mêmes expositions. L’exposome met également en avant la prise en compte des populations plus sensibles ou vulnérables par exemple les enfants à naître et les bébés mais aussi les populations défavorisées. L’aspect temporel de l’exposome est l’un des plus difficiles à étudier. Comment expliquer qu’une exposition à un instant T aura des effets beaucoup plus tard dans notre vie ?

« L’enjeu est de comprendre comment une exposition à un instant T aura des effets beaucoup plus tard dans notre vie »

La solution à ce défi viendra sans doute de l’épigénétique. Il s’agit de modifications de l’environnement moléculaire des gènes, sans changement de séquence. Ces modifications épigénétiques sont relativement stables, héritables d’une cellule à une autre et influent sur l’expression des gènes. Elles peuvent apparaître suite à un stress, demeurent présentes longtemps après et s’expriment en fonction de l’état physiologique de l’organisme, parfois des années ou des dizaines d’années plus tard. 

Au-delà de la recherche, il est important que des agences de sécurité sanitaire comme l’Anses continuent à investir ces questions. Tout l’enjeu est de pouvoir savoir quelles sont les expositions qui pèsent le plus sur notre santé au long cours et d’agir en conséquence pour prévenir ces maladies. Le groupe de travail Exposome de l’Anses est l’un des premiers à tenter de prendre en compte ce concept dans l’expertise des risques pour la santé. 

Quelles recherches sur l’exposome sont financées par l’Anses ?

Laetitia Dubois, Directrice du Financement de la recherche et de la veille scientifique

Avec le PNR EST (Programme national de recherche Environnement-Santé-Travail), nous finançons chaque année des projets de recherche pour mieux connaître les expositions dans notre environnement quotidien et leurs effets sur la santé. Nous abordons par exemple les questions de la qualité de l’air, des substances chimiques présentent dans notre environnement et dans les produits de consommation, des radiofréquences et de la 5G, ou encore de la santé au travail etc. Les données et connaissances issues de ces recherches doivent être directement exploitables pour évaluer les risques et appuyer les mesures de gestion. L’étude de l’exposome est un vaste sujet, elle passe par le financement de projets de recherche qui apporteront des données qui permettront de mieux le connaître. Pour étudier les effets cumulés de plusieurs facteurs de stress et leurs interactions, il est aussi important de bien documenter les effets de chaque facteur seul.  L’introduction du concept d’exposome permet de mettre l’accent là où il manque particulièrement des données concernant des effets moins connus comme, par exemple, l’impacts des co-expositions à des agents microbiologiques et chimiques sur la santé humaine. 

« L’introduction du concept d’exposome permet de mettre l’accent là où il manque particulièrement des données sur des effets moins connus. »

Pour réellement documenter l‘exposome, il faut étudier les impacts des expositions multiples et les interactions entre les différents types de nuisances chimiques, physiques, biologiques ou encore le stress, les contraintes organisationnelles en milieu professionnel et les conditions socio-économiques. Il est nécessaire également de connaître les fenêtres d’exposition, c’est-à-dire les moments de la vie où on est plus vulnérable. Par exemple, concernant le bisphénol A nous avons pu déterminer que les nourrissons étaient plus sensibles aux effets de cette substance. La thématique des perturbateurs endocriniens fait d’ailleurs partie des sujets particulièrement ciblés lors de nos appels à projets. Depuis 2011, on estime que près de la moitié des projets financés ont permis d’apporter des connaissances sur l’exposome.

Notre dernier appel à projets met l’accent sur l’importance des recherches sur cette question de l’exposome. L’objectif est qu’à terme on puisse mettre bout à bout tous ces résultats de recherche. Cela permettra de faire le lien entre des expositions multiples, des maladies et des moments de la vie où on serait plus à risque. Aujourd’hui plus que jamais, dans un environnement de plus en plus pollué et des évolutions technologiques rapides, il est primordial de renforcer le financement de la recherche. Il faut pouvoir se donner les moyens pour que la science avance avec notre société. 

Quels sont les objectifs du groupe de travail Exposome ? 

Dr. Amélie Crépet, cheffe de projets scientifiques à la Direction de l’évaluation des risques

Ce groupe de travail (GT) a pour objectif de renforcer l’intégration de l’exposome dans les travaux d’expertise de l’Anses. L’idée est d’aider l’Agence à effectuer un changement progressif dans le traitement des questions sanitaires qui lui sont posées, en proposant une approche globale et temporelle des expositions et des risques. L’exposome contient tellement de composantes qu’il faut pouvoir les appréhender pas à pas.

« Le GT nous aide à effectuer un changement progressif dans le traitement des questions sanitaires »

Pour cela, le GT travaille à proposer des actions à plus ou moins long terme à l’Anses pour sensibiliser les comités d’experts et introduire progressivement dans les expertises les différentes composantes de l’exposome, comme les expositions multi-sources, multi-substances, multi-dangers, qui dépendent des habitudes de vie et de l’environnement urbain/rural et social, etc. Dans ce cadre, il recommande le développement de méthodes et d’outils opérationnels ainsi que la génération des données nécessaires. Il a par ailleurs proposé des questions à investiguer dans le cadre des recherches PNR EST. Bien sûr, il repart de ce que l’Anses réalise déjà en matière d’exposome. 

En complément, le GT travaille à faire des propositions concrètes pour mieux traiter les questions liées à l’exposome dans ses travaux d’expertise en cours. Par exemple, l’Agence travaille actuellement sur la question des risques pour les travailleurs impliqués dans les activités de collecte, tri et traitement des ordures ménagères. Ces personnes sont concernées par des risques liés à des substances chimiques, agents biologiques et ils exercent des activités souvent contraignantes physiquement. Une réflexion autour des facteurs psychologiques, biologiques et socio-économiques qui déterminent la santé mentale de ces professionnels sera intégrée.

Autre exemple, concernant les effets des outils numériques sur la santé des enfants et des adolescents. Cette expertise tentera d’évaluer les effets sur la santé physique et mentale en intégrant les dimensions comportementales, sociaux-économiques et familiales. Dans une approche « exposome » il est prévue d’analyser la manière dont les substances chimiques et microbiologiques du quotidien, notamment retrouvées dans les foyers, peuvent aussi contribuer à la survenue des troubles associés à la pratique des outils numériques. 
Ce groupe de travail multidisciplinaire composés d’experts scientifiques externes et de coordinateurs Anses rassemble des évaluateurs de risques, toxicologues, microbiologistes, épidémiologistes, chimistes/analystes, statisticiens, sociologues, économistes etc.